Zoom sur les crises traversées par les pêcheurs

France Terre de Pêches marin pêcheur

Crises traversées par les pêcheurs : entre inquiétudes et espoirs

Brexit, crise sanitaire du Covid 19, guerre en Ukraine et crise des prix du carburant consécutive, prix du poisson : ces cinq dernières années, le secteur de la pêche n’a pas été épargné par les crises. Pourtant, la filière a su être résiliente face à ces défis : elle s’est adaptée – et elle continue à s’adapter, car les crises continuent elles aussi à se succéder. Les enjeux écologiques, énergétiques, politiques, économiques mais aussi RH se font toujours de plus en plus grands. Comment la pêche parvient-elle à y faire face ?

 

La pandémie de Covid-19 a marqué le début d’une série de crises majeures pour les pêcheurs, affectant sévèrement la vente et la consommation de poissons. Par la suite, l’invasion de l’Ukraine a provoqué une flambée des prix des matières premières, notamment l’acier et l’aluminium.

 

Parallèlement, la crise du gasoil est restée une préoccupation constante, menaçant la viabilité économique de nombreuses entreprises du secteur. Christophe Collin, directeur de l’Armement bigouden (9 chalutiers et 80 collaborateurs), partage son expérience : « Nous avons obtenu des aides pour compenser la hausse du carburant mais celles-ci étaient plafonnées. Elles nous ont permis de maintenir l’activité quelques mois, puis nous avons dû compenser :les armateurs ont puisé dans leur trésorerie pour assurer le paiement des salaires des marins ».

Un renouvellement de la flotte nécessaire, mais challengeant

Un autre défi majeur auquel le secteur est confronté est le renouvellement de la flotte. En raison des restrictions imposées par le Plan d’accompagnement individuel (PAI) post-Brexit, les armateurs ne peuvent pas renouveler leurs navires, qu’ils soient neufs ou d’occasion, pendant une période de cinq ans. Cette contrainte, combinée à une flotte vieillissante dont la moyenne d’âge atteint 31 ans, met en péril la pérennité de l’activité. La transition énergétique, indispensable pour réduire l’empreinte carbone de la flotte, nécessite des investissements colossaux, alors même que les ressources financières font défaut. Christophe Collin souligne l’ampleur du problème : « Dans les années 90, le coût d’un bateau neuf correspondait à environ un an de chiffre d’affaires du navire. Aujourd’hui, ce coût a grimpé pour atteindre l’équivalent de 3,5 années de CA, alors que le prix du poisson n’a, quant à lui, que très peu augmenté. Cet effet ciseaux compromet sérieusement nos capacités d’investissement ». Christophe Collin ajoute : « C’est toute la difficulté, on ne peut pas entrevoir l’avenir ».

Scale down
« Dans les années 90, le coût d'un bateau neuf correspondait à environ un an de chiffre d'affaires du navire. Aujourd'hui, ce coût a grimpé pour atteindre l'équivalent de 3,5 années de CA, alors que le prix du poisson n'a, quant à lui, que très peu augmenté. Cet effet ciseaux compromet sérieusement nos capacités d'investissement. C’est toute la difficulté, on ne peut pas entrevoir l’avenir »
Christophe COLIN

Planification maritime et gestion des ressources humaines : des défis de taille

En plus des défis économiques et écologiques, la planification maritime constitue une autre source de préoccupation pour les pêcheurs. La pression croissante pour une gestion durable des océans a conduit à l’élaboration de plans de gestion de l’espace maritime, qui cherchent à concilier différents usages – pêche, transport maritime, énergie éolienne, protection des écosystèmes marins. Ces plans peuvent parfois restreindre l’accès aux zones de pêche traditionnelles, ajoutant une contrainte supplémentaire pour les pêcheurs déjà en difficulté.

 

Par ailleurs, le secteur fait face à des défis de recrutement. Bien que la diminution du nombre de bateaux ait réduit les opportunités d’emploi, le PAI n’a pas entraîné de crise sociale majeure. Une partie des marins a pu être reclassée, tandis que beaucoup étaient déjà proches de la retraite. Cependant, le renouvellement des effectifs reste un enjeu crucial, car l’arrivée de nouveaux marins pêcheurs est limitée et les armements peinent à attirer de jeunes recrues.

« Dans notre armement, nous prenons beaucoup de stagiaires et d’apprentis en Bac Pro (conduite et gestion des entreprises maritimes) », explique Christophe Collin. « Nous essayons de former puis d’embaucher. En général, ça marche, mais les nouveaux arrivants sont peu nombreux. »

Une incertitude grandissante pour l'avenir

L’incertitude est également exacerbée par les conséquences du Brexit, qui laissent planer des doutes quant aux quotas disponibles et à l’accès futur aux zones de pêche britanniques. Ces accords doivent être renégociés à partir de 2026, ce qui ajoute une dimension supplémentaire d’instabilité pour les pêcheurs français. Le poids des coûts, qu’il s’agisse du gasoil, des matières premières ou de l’entretien des navires, est de plus en plus difficile à supporter, d’autant plus que les pêcheurs n’ont aucun contrôle sur les prix de vente de leurs prises, qui sont fixés lors des enchères à la criée. Christophe Collin prend l’exemple de la lotte, l’une des principales espèces pêchées par son armement : « nous pêchons 3 500 tonnes de lotte par an, ce qui représente 30 % de notre activité et 50 % de notre chiffre d’affaires. Pourtant, le prix de la lotte est resté inchangé à 5,50 euros le kilo depuis les années 2000, malgré une inflation galopante. Nous ne vendons pas notre poisson, on nous l’achète, sans que nous puissions répercuter les coûts supplémentaires sur le consommateur final. »

Des signes d'espoir malgré tout

Malgré ces nombreux défis, l’espoir est permis pour les pêcheurs. Si les quotas représentent pour eux une contrainte supplémentaire (ils déplorent parfois leur lenteur d’adaptation face aux fluctuations des ressources), les quotas de pêche pour la lotte ont été augmentés de 5 % cette année, une indication positive que la ressource est toujours abondante dans les eaux françaises. Le dernier rapport de l’Union Européenne, le « Policy Statement », qui fixe les grandes orientations pour l’année, souligne également la bonne santé d’autres populations de poissons en France. C’est le cas du thon rouge, de la raie ou encore l’aiguillat. Ce sont des lueurs d’espoir pour une filière qui, malgré les crises, continue de se battre pour son avenir et démontre sa résilience face à un environnement toujours plus incertain et un cadre réglementaire mouvant.

 

Les crises récentes, comme la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, ont souligné l’importance d’assurer la sécurité des approvisionnements et la souveraineté alimentaire française. Si le rôle du transport maritime est bien reconnu, celui des pêches maritimes mérite également d’être mis en lumière. d’autant que la balance commerciale de la pêche française est déficitaire : deux tiers des produits de la mer consommés en France sont aujourd’hui importés.

Plus de sujets