Pêche et responsabilité environnementale : est-ce vraiment une question de taille de navire ? Sa dimension influe-t-elle forcément sur son impact écologique ? Réduire la question de l’impact environnemental à la seule taille du bateau serait simpliste : la réalité est bien plus complexe et nuancée. Cet article propose d’explorer les idées reçues liées à la taille des bateaux et leur rôle dans la durabilité de la pêche.
En préambule : comprendre pourquoi la taille d’un navire influe sur ses zones d’activité
La taille du navire conditionne à la fois son autonomie, sa capacité de stockage et ses moyens techniques… et donc sa capacité à s’éloigner de la côte pour aller pêcher. Les plus petits navires sont adaptés à une pêche côtière, proche du port, pour des sorties en mer souvent limitées à la journée. À l’inverse, les navires de plus grande taille peuvent partir plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et atteindre des zones de pêche plus éloignées, y compris en haute mer. Ainsi, grands et petits navires ne s’opposent pas : au contraire, ils sont complémentaires pour exploiter les quotas de pêche détenus par la France et répondre à des besoins différents du marché.
Les grands navires sont moins « vertueux » que les petits.
Faux. Ce n’est pas la taille du bateau qui détermine son impact : ce sont les pratiques de pêche et les zones où il pêche. Par exemple, un petit navire utilisant un engin non-sélectif sur des habitats côtiers très sensibles peut avoir un impact plus fort qu’un grand navire bien équipé, moderne, utilisant des engins sélectifs. Ce dernier peut donc être plus performant d’un point de vue environnemental.
Ainsi, l’opposition systématique entre « petits » et « grands » n’a pas lieu d’être : la pêche française est riche dans sa diversité, et tous ces navires sont utiles et nécessaires pour répondre à différents marchés. La petite pêche répond aux besoins des consommateurs locaux ou à celle de la restauration, avec des espèces à haute valeur ajoutée ; la grande pêche et la pêche au large permettent de participer à la souveraineté alimentaire française, de faire vivre les criées et de permettre aux Français, y compris aux ménages les plus modestes, de trouver du poisson à un prix abordable et de mettre du poisson dans nos cantines pour nourrir nos enfants.
La règlementation se fonde sur la taille des navires pour accorder des quotas.
Faux. Les quotas sont attribués principalement en fonction de l’historique de pêche, de la flottille et des pratiques déclarées. Toutes les espèces ne sont pas pêchées par tous les navires et partout. Les droits de pêche français sont liés au territoire maritime de la France, et les capacités des uns et des autres à exploiter ces quotas sont différents. La taille ne peut donc pas être un critère de partage de la ressource. En revanche, certaines règles spécifiques (zones d’accès, engins autorisés) peuvent différencier les segments de flotte.
Les innovations technologiques permettent aux navires d’être plus durables.
Vrai. Les innovations technologiques bénéficient à toutes les tailles de navires… et elles sont nombreuses ! On pense notamment aux systèmes de motorisation plus sobres, aux outils de navigation et de détection plus précis pour éviter les captures inutiles, aux engins de pêche plus sélectifs et aux différents projets utilisant l’intelligence artificielle, avec par exemple des systèmes d’échappement pour les poissons non-ciblés, aux systèmes de traitement du poisson moins énergivores ou encore aux dispositifs de suivi en temps réel servant à ajuster les efforts de pêche. Grâce aux progrès de la science, petits et grands bateaux se dirigent vers toujours plus de durabilité.
Les navires de taille importante, qui peuvent rester plus longtemps en mer, polluent donc plus.
Faux. Les navires de grande taille, en restant plus longtemps en mer, peuvent limiter les allers-retours au port, optimiser les captures et mieux valoriser les poissons grâce à des équipements de conservation embarqués. Cela peut donc être un facteur de durabilité, s’ils respectent les règles et adaptent leur effort de pêche. Les petits navires, quant à eux, pêchent sur des zones souvent proches du littoral, ce qui favorise la fraîcheur et les circuits courts… Mais leur pression peut être plus concentrée localement. Les deux modèles ont leurs atouts, à condition d’être bien encadrés.
Pour aller plus loin : quand les petits navires s’adaptent aux enjeux de la pêche durable
À ce jour, les principaux enjeux des petits navires sont l’accès aux ressources et aux zones de pêche. Par exemple, les premiers acteurs à être impactés par le partage de l’espace maritime avec le développement de nouvelles activités (l’éolien) sont les navires côtiers. Les pêcheurs en zone côtière sont également directement confrontés à la dégradation de la qualité des eaux. Ce sont aussi les premiers impactés par l’extension des aires marines protégées.
Mais les pêcheurs de petits navires font aussi face à la hausse des charges, qui limitent leur rentabilité, à la capacité à se moderniser sans perdre leur caractère artisanal, au millefeuille réglementaire de plus en plus contraignant, et bien sûr au dérèglement climatique, qui modifie les comportements des espèces (lire le portrait de Julien Escoffier, qui témoigne de ces modifications)
Aussi, dans l’objectif de pratiquer une pêche toujours plus durable, les petits navires diversifient leurs pratiques (filets, casiers, ligne…) et s’inscrivent dans les dynamiques locales (circuits courts, marques de qualité…).
Les navires de grande taille ne font aucun effort pour améliorer leur impact environnemental.
Faux. Les navires de grande taille ont investi dans la modernisation technique, la réduction de la consommation de carburant ou encore la qualité de conservation à bord. Ils sont souvent plus autonomes, plus confortables pour les équipages et peuvent participer à des campagnes de pêche longues et ciblées.
Par ailleurs, s’il existe une segmentation naturelle entre pêche côtière et grande pêche, il est essentiel de pouvoir maintenir nos compétences françaises en termes de capacité de flotte (c’est-à-dire pouvoir renouveler nos navires), mais aussi en compétences humaines (c’est-à-dire rendre attractif nos métiers, d’autant plus sur des navires qui partent en mer plusieurs jours ou semaines afin d’exploiter les quotas dans les eaux lointaines). Sans marins, les navires restent à quai. Il faut donc rester compétitifs pour nourrir les Français, là où nous entrons en compétition avec des États tiers qui ne respectent pas nos normes – rappelons que 70% du poisson que nous retrouvons dans nos assiettes est importé !
La durabilité de la pêche et des navires ne se limite pas à réduire la consommation énergétique ou à améliorer les pratiques en mer.
Vrai. La durabilité dans la pêche repose sur la durabilité écologique, mais aussi sur la durabilité sociale, pour assurer aux marins les meilleures conditions de travail, et sur la durabilité économique, pour soutenir les entreprises dans leurs investissements. À l’échelle de chaque navire, il s’agit donc de respecter à la fois les normes environnementales et sociales et les règlementations établies dans le cadre de la politique commune de la pêche (PCP).
Il existe une complémentarité nette entre petits et grands navires, entre pêche côtière et pêche hauturière, entre petits artisans et armements structurés : c’est là toute la richesse du modèle de pêche français. Chacune a sa place, son rôle et ses spécificités. En travaillant ensemble, en partageant les bonnes pratiques et en respectant des règles communes, ces différentes formes de pêche peuvent coexister durablement et garantir un approvisionnement en produits de la mer diversifiés, responsables et de qualité.
Mais pour relever les défis qui nous attendent, il nous faut aussi maintenir nos compétences : renouveler nos navires, rendre le métier attractif et former les marins-pêcheurs. Car sans femmes et hommes pour les armer, aucun bateau ne peut sortir. Préserver ces métiers, c’est préserver notre capacité à nourrir les Français, aujourd’hui et demain.