Redéfinir la pêche durable : une nécessité ?

Source iconographique : Markus Thoenen (iStock)

Durabilité des pêches : une équation complexe

Exploitation des stocks halieutiques, changement climatique, nécessité de préserver la biodiversité, promouvoir des emplois : la pêche durable s’impose comme une priorité mondiale. Pourtant, concilier exploitation économique et préservation des écosystèmes marins reste un défi de taille. Fort de son expérience au sein de l’Association Européenne des Organisations de Producteurs dans le secteur de la pêche (AEOP) et de sa contribution au rapport SCEDUR réalisé par l’IFREMER, Jules Danto, ingénieur halieutique spécialisé en durabilité met en lumière les avancées scientifiques et le rôle clé des organisations de producteurs dans la construction d’une gouvernance équilibrée et pragmatique de la pêche.

La durabilité des pêches : une notion, plusieurs définitions

Née dans les années 1980, l’idée de durabilité a rapidement été appliquée à la pêche. « Transposer le concept de développement durable aux océans, c’est répondre aux besoins du présent sans hypothéquer ceux des générations futures », explique Jules Danto. Dès 1995, un cadre a été posé avec le Code de conduite mondial pour une pêche responsable, élaboré sous l’égide de la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), qui met en avant l’approche écosystémique des pêches.

 

Toutefois, cette notion reste complexe à appliquer, notamment en raison de la diversité des méthodes et contextes de pêche. « Il n’y a pas de solution unique ou de recette miracle, car chaque pêcherie a ses spécificités environnementales, économiques et sociales », rappelle Jules Danto. Cette diversité impose une adaptation fine, appuyée sur une collaboration étroite entre scientifiques, pêcheurs et décideurs. Si l‘on transcrit la durabilité en termes de politiques publiques, c’est une notion de compromis entre les différents compartiments de la durabilité et leurs interrelations. Qu’est-ce que la société est prête à accepter sur le sujet de la pêche, tout en maintenant une production d’aliments sains et riches en protéines, en ayant une empreinte environnementale réduite et en garantissant des conditions socio-économique viables pour les pêcheurs ?

Des avancées concrètes, mais des zones d’ombre

Depuis 1995, et notamment l’introduction de l’exploitation au Rendement Maximum Durable (RMD), une méthode qui fixe des limites de prélèvement pour garantir la reproduction pérenne des stocks-, des progrès notables ont été enregistrés. « En France, 56 % des volumes de poissons débarqués en 2022 proviennent de populations exploitées durablement, contre seulement 18% en 2000 », précise Jules Danto.

 

Parmi les réussites dans la reconstitution des stocks, on peut ainsi citer l’application de mesures de gestion dans l’Atlantique Nord-Est, qui ont permis une augmentation de la biomasse des stocks de poissons de plus de 33% depuis le début des années 2000 : par exemple, la biomasse de la raie fleurie a augmenté de plus de 60% entre 2009 (année de mise en place des quotas) et 2024. 

 

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Raie fleurie mâle, leucoraja naveus @Marc Dando

D’autres mesures dites de “sélectivité”, comme la mise en place de grilles sélectives dans les chaluts, permettent de mieux en mieux cibler et garder uniquement les poissons souhaités : les captures de petits merlus ont été considérablement réduites dans la pêcherie de langoustine du Golfe de Gascogne, et l’on observe une très forte augmentation de sa biomasse.

 

Pourtant, l’océan demeure un territoire largement méconnu. « On connaît mieux la surface de la lune que les fonds marins », souligne-t-il. Ce manque de données complique l’évaluation des écosystèmes et freine l’efficacité des mesures. Les interactions complexes entre espèces et l’impact des mesures à long terme échappent encore à une compréhension globale. De plus, de nombreux facteurs comme la pollution terrestre ou le développement de nouvelles activités en mer viennent complexifier notre compréhension des dynamiques de l’environnement marin.

Le rapport SCEDUR : un tournant

Le rapport SCEDUR, publié par l’Ifremer en 2022, marque une avancée significative dans l’exploration des différentes dimensions de la durabilité de la filière pêche. Ce projet pilote a souhaité établir une liste exhaustive de critères de durabilité, prenant en compte des dimensions parfois négligées, comme les impacts sociaux des activités de pêche, la prise en compte du bien-être animal ou encore la qualité nutritive des produits.

 

« L’idée était aussi de créer un outil d’aide à la gouvernance qui permette de comparer et de hiérarchiser ces critères, de les pondérer », ajoute Jules Danto. L’aide multicritère à la décision, proposée dans le rapport, vise à faciliter les choix concertés entre scientifiques, gestionnaires et pêcheurs. « Chaque acteur a sa propre vision de la durabilité. Ce rapport propose d’objectiver le débat en établissant des priorités communes », précise-t-il. Il construit ainsi une gouvernance efficace, reposant sur une approche collaborative.

L’AEOP : un acteur clé de la coopération internationale au service des pêcheurs

Rassembler pour mieux pêcher : c’est la mission de l’Association Européenne des Organisations de Producteurs dans le secteur de la pêche (AEOP), qui fédère trente organisations issues de différents États membres de l’Union européenne. « L’objectif de l’AEOP est de donner du poids aux producteurs en créant une instance collective capable de négocier et de promouvoir des pratiques de pêche durable », explique Jules Danto. Cette instance joue un rôle clé dans l’application des mesures issues de la Politique Commune de la Pêche (PCP), notamment sur les quotas ou la réduction des captures accessoires.

 

En encourageant l’échange de bonnes pratiques et en défendant les intérêts des pêcheurs auprès des décideurs européens, l’AEOP agit comme un levier pour améliorer la durabilité des pêcheries. « Il est essentiel de fédérer les acteurs pour avancer dans la bonne direction », insiste-t-il. Sans cette coopération, les initiatives isolées risquent de manquer d’efficacité.

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