Quand pêcheurs et scientifiques travaillent main dans la main
Il est facile d’imaginer pêcheurs et scientifiques évoluant chacun de leur côté, sans qu’il n’y ait de réel contact entre ces deux professions. Pourtant, face aux enjeux forts de durabilité des ressources marines, pêcheurs et scientifiques ont appris à mieux se connaître et à dialoguer… et cela s’avère bénéfique ! Rémi Mastrangelo, marin-pêcheur au Grau-du-Roi, et Tristan Rouyer, chercheur à l’Ifremer et expert du thon rouge, témoignent de leur étroite collaboration pour rendre la pêche méditerranéenne toujours plus vertueuse.
Des projets innovants, une pêche plus responsable
Concrètement, cette collaboration pêcheurs/chercheurs se matérialise par des interactions fréquentes. Pour les chercheurs comme Tristan, les pêcheurs constituent un réseau d’observation précieux. C’est de ces observations, mais aussi de leur expérience en mer (il arrive fréquemment que le scientifique embarque aux côtés des pêcheurs), que se nourrit le scientifique pour monter des projets en vue de rendre la pêche française toujours plus durable.
Dans le cas de Rémi, qui est adhérant à l’organisation de producteurs SATHOAN, les opportunités de faire valoir ses idées pour la recherche sont nombreuses et se discutent lors de réunions entre pêcheurs. Car les scientifiques n’imposent jamais de tests : ce sont les OP qui sont souvent motrices et proposent aux pêcheurs des projets en partenariat avec des scientifiques. Parfois même, à l’image de la SATHOAN, elles embauchent du personnel pour embarquer afin de dresser des statistiques sur divers sujets : appâts utilisés, taux de capture, etc.
Ainsi, ce partenariat entre pêcheurs et scientifiques a donné naissance à plusieurs projets innovants, visant à réduire l’impact de la pêche française sur la ressource. Par exemple, l’expérimentation de dispositifs anti-requins (projet SHARKGARD), qui émettent de légers signaux électriques pour éloigner les espèces non ciblées, a permis de diminuer les captures accidentelles. « On cherche des solutions qui permettent aux pêcheurs de continuer leur activité tout en préservant l’écosystème », précise Tristan Rouyer. 
 
											Projet SMARTSNAP (développement d’une « palangre intelligente », plus sélective), projet PROMPT (marquage de thons rouges afin d’améliorer nos connaissances sur la biologie du thon rouge) ou encore projet RAYVIVAL (observation de la survie des raies après capture et relâche) : nombreuses sont les études issues du partenariat pêcheurs/scientifiques. « Les chercheurs essaient d’anticiper les problématiques que l’on est susceptibles de rencontrer, que ce soit sur la question de la pêche sélective, ou sur les captures accessoires par exemple », ajoute Rémi Mastrangelo.
Cerise sur le gâteau : toujours plus présentes, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle constituent des outils précieux pour obtenir des résultats fiables. « Avant, on se basait sur les connaissances des vieux pêcheurs. Et elles n’étaient pas toujours fondées ! », s’amuse le pêcheur. « Grâce aux outils modernes, si le thon est marqué à un endroit, c’est qu’il était bien à cet endroit-là. »
Le retour du thon rouge, résultat d’une collaboration exemplaire entre pêcheurs et scientifiques
Dans les années 2000, le stock thon rouge de méditerranée était au bord de l’effondrement. Ce poisson a donc fait l’objet de quotas de pêche très stricts et les stocks se sont aujourd’hui reconstitués.
Ce résultat positif et encourageant n’aurait pas pu être atteint si le partenariat entre pêcheurs et scientifiques n’avait pas existé : « Sans le travail de recensement des scientifiques et leurs connaissances sur la migration des thons, l’histoire aurait été différente », explique Rémi Mastrangelo. Pourtant, les restrictions liées aux quotas ont d’abord été très contraignantes : « On a dû s’adapter, changer notre manière de travailler. Mais maintenant, on voit les résultats : on pêche mieux et on valorise mieux notre produit. »
Par ailleurs, le fait de participer aux études avec des chercheurs permet de remettre la science au cœur du débat : pour de nombreux pêcheurs, c’est aussi une manière de démontrer qu’ils se sont emparés des sujets clés du moment. La recherche fournit aux marins-pêcheurs des statistiques afin de montrer que leurs efforts sont réels – et surtout, qu’ils portent leurs fruits.
Vers une gestion de la ressource encore plus concertée
Si elle n’a pas toujours été simple, car parfois teintée de méfiance, la relation entre pêcheurs et chercheurs peut désormais s’apparenter à un véritable partenariat. « Avant, on nous imposait des règles, sans concertation. Aujourd’hui, il y a un vrai dialogue et une volonté de la part des scientifiques de mieux comprendre nos métiers et nos pratiques. Et en tant que pêcheurs, on comprend aussi pleinement l’intérêt qu’il y a à échanger avec eux », souligne Rémi Mastrangelo, 38 ans, pêcheur à la palangre spécialisé dans le thon rouge. Un avis que partage Tristan Rouyer, chercheur à l’Ifremer : « Les pêcheurs sont nos meilleurs alliés. Ils sont en mer tous les jours, ils voient des choses que nous ne pouvons pas observer depuis nos laboratoires. Et puis… attraper un thon rouge de 300 à 400 kg, ça ne s’improvise pas ! Quand on va en mer pour marquer les poissons, leur expertise est plus que précieuse. »
Malgré ces avancées, il reste encore des défis à relever. La communication entre chercheurs et pêcheurs doit être renforcée pour que les données scientifiques soient mieux diffusées sur le terrain. « Il faudrait que les scientifiques embarquent encore plus souvent avec nous et qu’on ait des retours plus réguliers sur leurs études », propose Rémi Mastrangelo. « On est au début de ce cercle vertueux, mais mon expérience est d’ores et déjà très positive : dans le cadre de mes recherches sur le thon rouge, une vraie relation de confiance s’est installée entre scientifiques et pêcheurs », conclut Tristan Rouyer.
Il est indéniable qu’une pêche durable est possible lorsque scientifiques et pêcheurs travaillent ensemble. Loin d’être un combat entre deux mondes opposés, c’est une alliance qui permet d’assurer à la fois la pérennité de la ressource et celle des métiers de la mer. « Chez les pêcheurs, les mentalités ont changé. On ne veut pas pêcher plus, on veut pêcher mieux », résume Rémi Mastrangelo. Et c’est bien là tout l’enjeu de la pêche de demain.
 
											 
    
   
    
   
    
   
 
        	
        
     
 
        	
        
     
 
        	
        
     
 
        	
        
    