Entre les Bouches du Rhône et la Côte d’Azur, Philippe Rosellini suit son cap depuis près de quatre décennies. À la tête du Merlin IV, son bateau de pêche, il navigue en solitaire, en quête de poissons, mais aussi d’un mode de vie qu’il chérit profondément. Rencontre avec un pêcheur aussi indépendant que passionné.
Pêcheur, une vocation
Contrairement à beaucoup de ses confrères, Philippe Rosellini n’est pas né dans une famille de pêcheurs. « Ce n’est pas une tradition familiale », précise-t-il d’emblée. Pourtant, dès son plus jeune âge, il sait qu’il sera pêcheur. À 14 ans, déjà, il partait avec des équipages pour pêcher l’anguille à Port Saint-Louis, et c’est dans les eaux des Bouches du Rhône que sa passion est née. À 17 ans, il embarque pour de bon sur un chalutier et s’accroche malgré le mal de mer et la difficulté du métier : « C’était difficile : le premier jour je ne sentais plus mes mains, je ne sentais plus rien, mais je n’ai jamais pensé à arrêter. »
Après plusieurs années de chalut, il se tourne vers la pêche en « petit-métier », une pêche artisanale qui lui permet de s’adapter à ses envies et à la météo sans rendre de compte à personne. « Le grand large ne m’a jamais attiré, je préfère la proximité des côtes, et surtout, la tranquillité », confie-t-il. Aujourd’hui, son bateau, le Merlin IV, lui offre la liberté.
La mer, un émerveillement constant
Philippe le dit sans détour : « Dans mon métier, il n’y a jamais deux journées identiques. » En été, il quitte le port vers 6h du matin, en hiver, un peu plus tard, aux alentours de 8h. Il gère son emploi du temps selon ses besoins, sans pression extérieure. « Ce qui est bien quand on est seul, c’est qu’on décide. Je finis ma journée quand je le sens. Et si je ne veux pas pêcher le poulpe car je n’aime pas ça, je ne le fais pas !”, s’exclame Philippe. Il est propriétaire et exploitant de son bateau, une embarcation de taille modeste (7m de long pour 2,5m de large) mais efficace, qui lui permet de couvrir une zone de pêche limitée à 6 000 miles nautiques de la côte. Il y pratique des techniques de pêche traditionnelles avec des filets maillants.
La pêche, pour Philippe, est devenue plus qu’un métier : c’est un mode de vie. Le contact quotidien avec les éléments, le calme de la mer et la faune marine font partie de ses plus grandes satisfactions. Il décrit des moments privilégiés en mer : « il y a des jours où je ne croise pas un seul bateau, et où je travaille entouré de dauphins, de pingouins torda, c’est un privilège rare. »
Des ressources en danger, une pêche en mutation
Cependant, Philippe reste lucide quant aux défis que rencontre son métier : « La mer, on la prélève, mais on ne lui rend pas », explique-t-il. Il n’y a pas de quota à respecter en Méditerranée : les pêcheurs ont préféré se soumettre à une régulation saisonnière. Philippe souligne la nécessité d’être vigilant afin d’éviter la surpêche et regrette par exemple la surexploitation du coquillage : « on a tué le coquillage”, estime-t-il. « On l’a trop pêché en période de reproduction ». Le réchauffement climatique est aussi une préoccupation pour ce pêcheur d’expérience. Il a ainsi vu la disparition progressive de certaines espèces, comme la plie, et l’arrivée d’autres, parfois inattendues, comme le crabe bleu venu du Golfe du Mexique. Certaines espèces emblématiques, comme le loup et le turbot, sont également menacées. « Le changement est visible chaque année. Les températures influencent les poissons que l’on trouve dans nos eaux », conscient que le réchauffement climatique affecte directement son métier.
L’avenir dans la pêche raisonnée
Philippe est inquiet pour l’avenir de son métier : s’il constate une prise de conscience globale sur la nécessité de préserver la ressource, celle-ci lui paraît toutefois moins marquée chez les nouvelles générations. Les jeunes pêcheurs s’endettent parfois lourdement, investissant dans de gros bateaux avec des crédits importants. « Mon conseil, explique-t-il, c’est de ne pas viser trop grand dès le départ. Il vaut mieux commencer avec des petites embarcations et se concentrer sur des pêches moins gourmandes en ressources, comme la noisette de Méditerranée ou le poulpe, pour évoluer ensuite ». Il est là pour en témoigner, avec un salaire de 4000€ mensuels brut aujourd’hui et une liberté que beaucoup de salariés lui envieraient.
Quant à l’avenir de la pêche en général, Philippe estime que tout repose sur un équilibre fragile : « on a besoin des chalutiers. Sans eux, on ne pourrait plus vendre notre poisson, et ils garantissent aux consommateurs une grande diversité d’espèces ainsi qu’une grande qualité. C’est une chaîne, on dépend tous les uns des autres. » Il appuie cependant l’importance de développer une pêche raisonnée, respectueuse des ressources, et toujours avec un regard critique sur les excès du métier : « si on épuise les stocks, on sera les premiers à en souffrir. »