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Chalutage de fond et climat : que sait-on vraiment de son impact sur le carbone marin ?

© Crédits CRPMEM Occitanie

Depuis quelques années, une idée a fait son chemin : le chalutage de fond pourrait libérer du CO2 en quantité importante, et donc contribuer au réchauffement climatique. Cette hypothèse a été popularisée en 2021 par l’étude choc de Sala et al. publiée dans Nature, qui affirmait que le chalutage libérait autant de carbone que l’aviation mondiale ! Bien que cette étude repose en partie sur des travaux antérieurs depuis rétractés, elle continue d’alimenter un débat sous haute pression environnementale, auquel s’intéressent plusieurs scientifiques. On leur donne la parole.

Carbone, sédiments, chalut : comment ça fonctionne ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut avoir en tête que :

 

  • Les sédiments océaniques (sables ou vases) constituent d’immenses stocks de carbone organique. Ce carbone organique se constitue principalement via de la matière vivante issue des écosystèmes marins. L’océan contient d’ailleurs 50 fois plus de carbone que l’atmosphère ! (source : Copernicus marine service)
  • Le chalutage de fond perturbe nécessairement ces sédiments en les remettant en suspension, un peu comme si on remuait un verre d’eau boueuse.
  • Une fois en suspension, le carbone organique peut être décomposé par des bactéries, provoquant une émission nette de CO2 dans l’eau, et potentiellement dans l’atmosphère.

 

D’où la nécessité d’étudier le sujet pour comprendre le lien entre le chalutage et le cycle du carbone, afin d’orienter les politiques de pêche et les mesures de gestion.

En bref :

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Mise au point scientifique : que dit vraiment la science ?

Commandée dans un contexte de forte polarisation du débat, l’étude CarboChalu a été menée par des chercheurs français du Laboratoire des Sciences, du Climat et de l’Environnement (LSCE), spécialistes de la biogéochimie des sédiments marins. Elle ne visait pas à produire de nouvelles données, mais à évaluer et résumer la robustesse des connaissances disponibles en 2023. Résultat ? Christophe Rabouille, l’un des chercheurs de l’équipe, en fait un constat prudent : « le chalutage, par la resuspension du carbone organique des sédiments et sa transformation en CO2 par les bactéries, contribue au réchauffement climatique. Pour l’instant, on ne sait pas si cette contribution est significative, faute d’étude intégrant tous les aspects du chalutage. »

 

En dressant un état des lieux rigoureux des études scientifiques sur le sujet, les chercheurs soulignent qu’il n’existe pas encore de mesure précise de l’impact global du chalutage sur les émissions de CO2. Certaines études évoquent un chiffre spectaculaire : 0,6 à 1,5 milliards de tonnes de CO2 par an, soit 15 à 20 % du CO2 absorbé par les océans chaque année. Mais ces chiffres sont contestés, et d’autres études ont argumenté que cette valeur était très largement surestimée compte-tenu du recyclage intense que le carbone subit naturellement dans les sédiments.

LE POINT DE VUE CRITIQUE DU PROFESSEUR HIDDINK

 

Les déclarations de Sala (2021) sur le lien entre chalutage et cycle du carbone ne font pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique. Jan Geert Hiddink, professeur à l’École des sciences océaniques et spécialiste de l’écologie marine benthique (NDLR : qui se rapport au fond des mers, indépendamment de la profondeur), a publié en 2023 une réponse scientifique critique. Il déclare à France Terre de Pêches : « Les calculs de Sala surestiment largement les émissions de CO2 car ils supposent que tout le carbone organique présent dans les sédiments est hautement réactif. C’est faux : une bonne partie est très stable. »

 

Selon lui, les modèles utilisés dans certaines publications exagèrent les émissions d’un facteur 10 à 100. Il appelle donc à plus de précaution avant de tirer des conclusions hâtives.

Un débat loin d’être clos, et qui commence à peine.

Une étude qui en appelle d’autres

Les chercheurs appellent à lancer des expériences sur le terrain et à développer les modèles mathématiques pour mieux comprendre ce que deviennent les sédiments remués.

 

Après CarboChalu, il sera nécessaire de réaliser d’autres études sur l’impact du chalut sur le cycle du carbone analysant plus finement le phénomène. Plusieurs recommandations ont été émises en ce sens. C’est ainsi que Christophe Rabouille (LSCE) précise : « à l’issue de nos travaux consacrés à CarboChalu, nous avons suggéré de faire une étude expérimentale intégrant tous les paramètres (sédiment, colonne d’eau, saisonnalité, position géographique) afin de pouvoir dresser des bilans de carbone du chalutage plus cohérents ».

 

Pour le Professeur Hiddink aussi, de nombreuses interrogations subsistent : comment les engins de pêche, la fréquence du chalutage et l’environnement sédimentaire influencent-ils le potentiel des sédiments marins à agir comme une source nette de CO2 ? Comment le carbone remis en suspension par le chalutage module-t-il la chimie de l’eau de mer et quel est le sort du carbone remis en suspension ? Comment le mélange horizontal et vertical, la production et la respiration de la colonne d’eau influencent-ils la possibilité que les changements biogéochimiques induits par le chalutage aient des répercussions sur les échanges air-mer ? Les interventions de gestion permettront-elles de réduire les pertes de carbone et les émissions de CO2 et de reconstituer les stocks de carbone dans les sédiments marins ? Autant de questions qui restent, à ce jour, en suspens.

Ce qu’il faut retenir

Les connaissances actuelles montrent que le chalutage perturbe les sédiments marins, ce qui peut entraîner la libération de CO₂ par activité bactérienne. Toutefois, la majorité des études publiées à ce jour suggèrent que cet impact sur les stocks de carbone organique reste globalement limité. Dans certaines zones, une diminution du carbone sédimentaire a néanmoins été observée, laissant penser à une possible perte.

 

Cependant, plusieurs inconnues subsistent. On ne connaît pas encore précisément la quantité de CO₂ libérée, ni l’ampleur de la contribution du chalutage au réchauffement climatique. Ces zones d’ombre appellent à des recherches complémentaires pour mieux cerner l’impact du chalutage de fond sur le réchauffement climatique.

 

Si l’impact du chalutage de fond sur le carbone marin demeure incertain, il convient de garder à l’esprit une donnée essentielle : la pêche ne contribue que très faiblement aux émissions mondiales de CO₂ – seulement 0,01 % de ces dernières proviennent de la pêche européenne.

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