Depuis son enfance passée à godiller sur un canot jusqu’à l’élaboration d’un ligneur novateur, Philippe Perrot n’a jamais cessé d’explorer la mer sous toutes ses facettes. Pêcheur, ancien militaire, constructeur de navires et élu professionnel, ce brestois défend une filière plurielle et en pleine transformation.
Philippe Perrot l’admet volontiers : son parcours n’a rien d’habituel. À 56 ans, ce ligneur brestois a déjà eu mille vies. Issu d’une famille très modeste du Nord-Finistère, il a 5 ans lorsqu’il embarque pour sa première sortie en mer. Il manœuvre très tôt son petit canot, seul, à la godille, et passe tous ses étés à récolter des algues de rives avec ses grands-parents. “Je recevais une petite somme d’argent !”, sourit le marin-pêcheur.
Encore lycéen, il commence la pêche professionnelle. “À l’époque, il n’y avait pas besoin de diplôme”, explique-t-il. “On pouvait être marin-pêcheur tout en étant étudiant.” Mais, c’est finalement sous le pavillon de la Marine Nationale qu’il fait ses armes : lutte anti-pollution, hydrographie et navigation aux quatre coins du globe.
En 2006, c’est le retour aux sources. Philippe obtient son brevet de capitaine 200, puis s’installe comme patron de pêche dans le Nord-Finistère. A la belle saison, il pratique la pêche à la ligne et complète son activité par de la pêche à la coquille Saint-Jacques dans la Rade de Brest, ce qui lui permet de travailler toute l’année. “En mer, on est son propre chef : c’est ce qui m’a poussé à revenir à la pêche professionnelle.”, souffle-t-il. Mais il évoque aussi un rapport plus fort à l’océan : “dans la Marine Nationale, on vit à l’intérieur des bateaux, on est protégés. Dans la pêche professionnelle, on est sur le pont, en prise directe avec les éléments : le vent, les embruns… on ne vit pas la même chose et on navigue deux fois plus.”
Un marin-pêcheur profondément engagé
En parallèle de son activité en mer, Philippe Perrot s’engage au sein de plusieurs structures professionnelles : il est aujourd’hui Vice-Président du Comité des Pêches du Finistère, Vice-Président du Parc Marin d’Iroise et Président de la Commission sécurité maritime du Comité national des pêches (CNPMEM). Un agenda très chargé, avec près de 90 heures de travail par semaine qui le tient éloigné de la mer sans pouvoir l’en détacher. Il a récemment vendu ses deux bateaux pour s’acheter un petit ligneur de 7,5 mètres, afin de continuer à pratiquer son activité. “Il faut aller en mer pour être vice-président de comité… sinon, ce n’est pas très honnête. Il ne faut pas qu’il y ait de décalage entre la réalité et la représentation que l’on s’en fait.”
Philippe Perrot ne minimise pas les difficultés liées à ses engagements. Sa maigre allocation liée à son statut d’élu ne couvre même pas les frais de gasoil pour se rendre à toutes les réunions, et le temps passé à terre lui fait perdre 40% de son chiffre d’affaires. Pourtant, rien n’entame son enthousiasme et son investissement : son expérience, il la met au service de la pêche et des pêcheurs. “J’ai navigué partout, observé différents types de pêche, embarqué sur des bateaux scientifiques, des bateaux de commerce ou encore avec l’Ifremer. Je suis allé du Groenland aux Kerguelen, en passant par l’Océan Indien : ma culture maritime est vaste, et je souhaitais réellement apporter cette vision transversale de la mer au Comité des Pêches”, raconte-t-il.
Le Parc Marin d’Iroise, laboratoire d’idées
Multi-casquettes, Philippe Perrot s’investit aussi dans le Parc naturel marin d’Iroise. “Le Parc fonctionne comme un laboratoire d’idées”, souligne le Vice-Président de l’Aire Marine Protégée. “Autour de la table, il y a des élus, des scientifiques, des ONG, des pêcheurs, des chasseurs, des agriculteurs. C’est un étrange mélange, mais qui fonctionne bien.”
Dans le Finistère, chacun débat, apprend à se connaître et cherche des compromis. “Même si on n’est pas toujours d’accord !”, plaisante le marin-pêcheur. Cette dynamique collective repose sur une culture maritime et scientifique solide, très liée au territoire. Elle commence d’ailleurs à susciter l’intérêt au-delà des frontières : le modèle iroisien est désormais observé, notamment par des équipes canadiennes, qui aimeraient s’inspirer de ce laboratoire d’idées pour leurs propres aires protégées.
Un engagement confronté à de nouveaux défis
Le ligneur brestois reste lucide sur les défis auxquels fait face la pêche française : son engagement s’accompagne de défis bien réels. “Nous arrivons à la fin d’un système”, constate-t-il.
Il plaide pour un renouveau fondé sur l’attractivité du métier et l’innovation : “bateau du futur”, intégration de nouvelles technologies (ex : l’IA) destinées à améliorer à la fois le confort de travail et la sélectivité des captures, ainsi que la sécurité à bord. Mais pour y parvenir, “il faut sortir du dogme communautaire“ nous dit-il, “notamment concernant la longueur des bateaux. Très peu de gens comprennent qu’il suffit d’ajouter quelques mètres de plus à un bateau pour qu’il consomme moins. Augmenter la puissance ne veut pas dire pêcher plus puisque nous sommes limités par des quotas !”.
Et lorsqu’on lui parle de décarbonation à la pêche, Philippe Perrot est catégorique : “l’hydrogène n’est pas une option“. Alors le marin-pêcheur ruse de stratagèmes pour limiter l’impact le plus possible : “J’utilise les courants marins pour me porter vers mon lieu de pêche : ça m’économise 20% de gasoil.“ Une compétence acquise grâce à son passé d’hydrographe, qui lui a aussi permis de cartographier lui-même les fonds et d’avoir des cartes sur-mesure. “J’ai passé ma vie à faire de la jachère : dès que la taille de mon poisson diminuait, je partais. Je comprenais que les gros avaient déjà été pêchés, alors j’allais ailleurs. »
La création d’un navire à la pointe de l’innovation
En 2015, Philippe Perrot a construit le “Gavaoc” : un ligneur innovant, premier bateau de pêche français doté d’une étrave droite (NDLR : pièce de bois ou de métal qui termine la coque vers l’avant en formant la proue d’un navire). Inspiré des innovations norvégiennes, islandaises ou sud-africaines, le bateau vise deux objectifs : réduire la consommation de carburant et améliorer les conditions de travail.
”En Islande ou en Norvège, on prend le marin puis on construit le bateau autour. En Europe, on construit d’abord le bateau puis on met le marin dessus. Les marins sont les oubliés de la politique européenne” déplore celui qui est le président de la Commission sécurité maritime.
Pour y parvenir, Philippe mène une étude d’ergonomie poussée. Un architecte naval et un ergothérapeute l’accompagnent en mer et le filment toute une journée afin d’identifier les gestes pénibles, les postures à risque, les sources de migraines liées aux écrans. Il pousse l’analyse jusqu’à réaliser une étude acoustique complète et imagine la première passerelle suspendue entre la salle des machines et le poste de pilotage : à 20 nœuds, la navigation génère moins de bruit qu’un lave-vaisselle ! Le navire est également autoredressable, ce qui renforce sa sécurité. Un prototype qui a rapidement attiré l’attention du Comité des Pêches ou du Bureau enquête-accidents (BEA).
Une pêche belle et plurielle
S’il défend invariablement la pêche française et cherche sans cesse à y apporter sa contribution, Philippe insiste : la force de la pêche française, c’est bien sa diversité. “Du petit navire de 4,50 mètres à celui de 88 mètres : la pêche est plurielle”, souligne-t-il. “Cette diversité permet aux consommateurs d’avoir du poisson varié, de qualité et frais. C’est une vraie richesse, mais aussi une complexité à défendre à Bruxelles, tant il y a de dossiers !”
Et que dire de la rivalité entre grande et petite pêche ? Philippe Perrot n’y croit pas une seconde. Pour lui, cette opposition n’a pas lieu d’être. “Les tensions existent, mais elles viennent souvent de comportements isolés”, relativise-t-il. “J’ai mon ligneur de 7,50 mètres, et pourtant j’ai des discussions très riches et on est très solidaires avec des armements qui ont des bateaux de plus de 80 mètres !“
Il rappelle que si les petits pêcheurs comme lui disposent aujourd’hui de quotas, c’est d’abord grâce aux déclarations passées rigoureuses des chalutiers hauturiers, qui ont permis de tracer la ressource et de structurer la gestion des stocks. “Les armements du Guilvinec et de Lorient, par exemple, ont fait leur travail. On peut leur dire merci, en tant que petits pêcheurs. C’est grâce à eux que des petits ligneurs comme moi avons du quota de lieu jaune.” À ses yeux, l’avenir de la filière repose aussi sur cette solidarité souhaitable. Une solidarité qui unit des bateaux de toutes tailles… et qui fait la force d’une pêche française belle, plurielle et vivante.
Marin-pêcheur, un sport de haut niveau
Les idées reçues sur le métier exercé par Philippe sont encore légion : “J’entends tout le temps que les marins-pêcheurs sont toujours au bistrot ou sont des drogués !“ Pourtant, la réalité est bien différente. “Être pêcheur, c’est du sport de haut niveau : je me lève à 1h30 du matin, je vais dans des rouleaux et des endroits un peu scabreux ; je suis obligé d’avoir une forme et une hygiène de vie irréprochables !“
Un niveau d’exigence qui a toutefois un revers : vivre à contre-temps des autres complique la vie sociale et met à l’épreuve le lien aux proches, quand la fatigue et les horaires décalés ne laissent guère de place à l’improvisation.