Faut-il renoncer au chalut de fond ?
Le chalut de fond est souvent pointé du doigt comme étant une technique de pêche destructrice et polluante. On lui reproche son manque de sélectivité, sa consommation de carburant élevée et son impact sur les fonds marins. Dans un contexte où la protection des écosystèmes marins est devenue une priorité, doit-on envisager l’arrêt complet de cette pratique ? La situation est plus complexe qu’il n’y paraît, surtout si l’on considère l’importance de cette méthode pour la pêche française. Enquête sur le chalut, entre souci écologique, faits scientifiques et réalité économique.
Le chalut de fond : une technique adaptée à un territoire unique
Le territoire maritime français dispose d’un vaste plateau continental, l’un des plus grands au monde, s’étendant sur environ 580 000 km². Ce plateau, composé majoritairement de fonds sableux et vaseux, est particulièrement adapté pour le chalut de fond. Le chalut est tiré à une vitesse de 2 à 4 nœuds (soit entre 4 et 8 km/h), selon la capacité du moteur et les espèces ciblées. En se traînant sur le fond, le chalut capture les espèces qui s’y trouvent, telles que la sole, le bar, la lotte, le merlu, la dorade, la langoustine, l’encornet et la seiche.
En 2021, les techniques de pêche de fond, incluant le chalut, représentaient environ 36 % du volume total et 47 % de la valeur de la production française, selon un rapport de l’Ifremer datant de 2023. Le chalut de fond permet de capturer efficacement une large gamme d’espèces, ce qui en fait une méthode précieuse pour la pêche française. Très concrètement, la pêche française aux engins de fond représente 99,5 % des coquilles Saint-Jacques pêchées en mer du Nord et Manche, 99,9 % des langoustines pêchées en Atlantique ou encore 98,6 % des calmars et encornets pêchés en Atlantique.
Remplacer le chalut de fond : une solution contre-productive
Le chalut de fond, par les volumes de produits de la mer débarqués, joue un rôle crucial dans la souveraineté alimentaire de la France. Il permet la consommation de poissons à des prix abordables dans un contexte où environ 70 % des poissons consommés en France sont importés : la contribution du chalut de fond à la production nationale est ainsi essentielle pour réduire la dépendance aux importations et garantir une offre stable et diversifiée. L’abandon du chalut conduirait mécaniquement à une hausse des importations et à la destruction d’une pêche vertueuse, encadrée, remplacée par des pêches que l’on ne contrôle pas et à l’impact sur l’environnement plus lourd.
Abandonner cette technique au profit d’une autre technique de pêche ne serait pas sans conséquences, car toutes les espèces ne peuvent pas être pêchées avec un engin unique. Elle pourrait conduire à une augmentation de la consommation d’autres protéines, comme de la viande, dont l’empreinte carbone est plus élevée que celle de la pêche. Bien que l’empreinte carbone du chalut reste plus élevée que d’autres méthodes de pêche, elle est inférieure à celle de la production de viande bovine par kilo de protéine produite, pour une protéine finale de très haute qualité. Cela souligne l’importance de considérer l’équilibre entre production alimentaire et impacts environnementaux de manière globale.
De plus, remplacer le chalut de fond par des engins dormants (ligne, filet, casier, etc.) entraînerait des perturbations nouvelles dans les écosystèmes marins, notamment les interactions avec les espèces protégées, qu’il ne serait pas toujours aisé de maîtriser du fait de la nature « passive » de ces différentes méthodes.
Le chalut de fond, une technique strictement réglementée en Europe et qui poursuit sa mue
Si remplacer le chalut de fond n’est pas pertinent aujourd’hui, cela ne signifie pas pour autant que son utilisation est sans limite. Les pêcheurs sont les premiers concernés par le maintien du bon état des écosystèmes marins. Pour protéger la ressource, les habitats et les espèces marines, l’utilisation du chalut de fond est strictement régulée afin d’en minimiser son impact. Des restrictions géographiques strictes sont en place, interdisant l’utilisation du chalut de fond, là où les écosystèmes marins sont les plus vulnérables. Aujourd’hui, la pêche européenne est reconnue comme la plus vertueuse dans le monde. À ce titre, on observe que 50 % des certifications « pêcheries de chalut de fond durables » dans le monde sont européennes.
Par ailleurs, le chalut de fond n’est pas une technique figée : il fait constamment l’objet d’améliorations dans son utilisation. En effet, les pratiques évoluent pour répondre aux préoccupations environnementales et aux exigences réglementaires. Aujourd’hui, les chaluts sont plus sélectifs (taille des mailles des filets, par exemple) et moins impactants qu’auparavant. Les zones de pêche sont connues au regard de la nature des fonds et des espèces ciblées, le chalutage n’est alors pratiqué que dans 3 % de la zone de la Commission des Pêcheries de l’Atlantique Nord-Est (CPANE), par exemple. Les zones les plus sensibles sont interdites aux engins de fond, et des mesures réglementaires sont adaptées dans les Aires Marines Protégées (AMP) en fonction de leurs objectifs de protection. Ces mesures évoluent constamment pour s’adapter aux nouvelles connaissances scientifiques et aux besoins de conservation.
En cela, la collaboration avec les scientifiques est essentielle : la recherche et le développement sont au cœur de cette transformation. L’Ifremer mène des recherches pour réduire le poids des chaluts, diminuant ainsi la pression exercée sur le fond marin. De plus, des initiatives innovantes comme le programme « Game of Trawls » utilisent l’intelligence artificielle pour améliorer la sélectivité des chaluts. Ce programme, développé par des chercheurs européens, vise à optimiser les opérations de chalutage en temps réel, en ajustant les paramètres du chalut pour minimiser les captures non désirées et l’impact sur les fonds marins. Cette technologie pourrait révolutionner la pratique du chalut de fond, la rendant encore plus respectueuse de l’environnement.
L’encadrement rigoureux et l’innovation constante dans le domaine de la pêche au chalut de fond sont donc essentiels pour concilier les besoins économiques et la protection des écosystèmes marins. Plutôt que de condamner purement cette technique, l’enjeu aujourd’hui est de l’améliorer pour qu’elle continue à jouer un rôle vital dans l’économie de la pêche française tout en minimisant son impact sur l’environnement.